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LES INFRÉQUENTABLES
Publier des articles dans un journal n’a pas tou- court, élégant et percutant, qui semble tout à
jours été convenable pour une femme. Dans les fait correspondre à cette jeune femme à l’air
États-Unis du Gilded Age (1870-1900), période timide mais décidé. Avec son joli visage entouré
de croissance et de prospérité, la presse était de boucles auburn, ses dents très blanches et
florissante. Les quelques femmes qui tentaient de sa fine silhouette, Elizabeth Jane Cochrane a
s’imposer dans ce milieu exclusivement masculin, 20 ans à peine.
réputé brutal et grossier, se devaient d’écrire sous Sous le ciel gris de la grande cité industrielle de
pseudonyme, comme le firent Bessie Bramble, Pittsburgh (Pennsylvanie), Nellie Bly réalise une
Pearl Rivers, Fanny Fern ou Penelope Penfeather. série de reportages sur le travail des femmes en
Ces journalistes en usine. Elle se fait
jupon, qui travail- embaucher inco-
laient à la maison, gnito, observe,
traitaient des arts interroge puis
et s’occupaient témoigne dans
des pages fémi- Elle se fait embaucher les colonnes du
nines. L’actualité incognito, observe, interroge,
était l’affaire des journal de la misé-
hommes, bien évi- rable condition
demment, car elle puis témoigne sur la misérable des ouvrières. Les
condition des ouvrières lecteurs en rede-
nécessitait ratio- mandent, Madden
nalité, précision triple son salaire.
et courage. Bientôt, cet ordre allait être remis Mais, bientôt, les industriels pointés du doigt
en question par une toute jeune Américaine, dans ses articles manifestent leur mécontente-
déterminée et indépendante. ment, et Nellie se trouve reléguée aux rubriques
Nous sommes en 1884, Elizabeth Jane féminines. Il est temps pour elle de voir plus
Cochrane est assise dans le bureau de George loin et plus grand.
Madden, rédacteur en chef du Pittsburg Dispatch,
son journal préféré. Quelques jours plus tôt, elle Témoigner de l’intérieur
lui a envoyé une lettre incisive pour se plaindre Munie d’une lettre de recommandation qui
d’un billet se terminant ainsi : « L’univers de la ne lui ouvrira aucune porte, la jeune journa-
femme se définit d’un seul mot : maison. » Madden liste débarque à New York. Elle arpente Park
lui propose alors de rédiger un article sur la Row, le quartier de la presse, dans la pointe de
question de « la sphère des femmes ». Manhattan. Le soir, dans sa chambre meublée,
Elizabeth choisit d’écrire sur la dignité et le elle cherche avec la dernière énergie une idée
courage des femmes sans privilèges, obligées de qui lui ouvrira les portes du New York World, le
travailler durement pour gagner leur vie. Séduit plus fort tirage de l’époque. Repris en 1883 par
par son écriture, George Madden l’embauche Joseph Pulitzer, le World a connu un développe-
pour 5 dollars par semaine. Reste à lui trouver ment record en peu de temps. Grâce à un savant
un pseudonyme. Ce sera Nellie Bly : un nom dosage de sensationnel et de sérieux, Pulitzer
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Publier des articles dans un journal n’a pas tou- court, élégant et percutant, qui semble tout à
jours été convenable pour une femme. Dans les fait correspondre à cette jeune femme à l’air
États-Unis du Gilded Age (1870-1900), période timide mais décidé. Avec son joli visage entouré
de croissance et de prospérité, la presse était de boucles auburn, ses dents très blanches et
florissante. Les quelques femmes qui tentaient de sa fine silhouette, Elizabeth Jane Cochrane a
s’imposer dans ce milieu exclusivement masculin, 20 ans à peine.
réputé brutal et grossier, se devaient d’écrire sous Sous le ciel gris de la grande cité industrielle de
pseudonyme, comme le firent Bessie Bramble, Pittsburgh (Pennsylvanie), Nellie Bly réalise une
Pearl Rivers, Fanny Fern ou Penelope Penfeather. série de reportages sur le travail des femmes en
Ces journalistes en usine. Elle se fait
jupon, qui travail- embaucher inco-
laient à la maison, gnito, observe,
traitaient des arts interroge puis
et s’occupaient témoigne dans
des pages fémi- Elle se fait embaucher les colonnes du
nines. L’actualité incognito, observe, interroge,
était l’affaire des journal de la misé-
hommes, bien évi- rable condition
demment, car elle puis témoigne sur la misérable des ouvrières. Les
condition des ouvrières lecteurs en rede-
nécessitait ratio- mandent, Madden
nalité, précision triple son salaire.
et courage. Bientôt, cet ordre allait être remis Mais, bientôt, les industriels pointés du doigt
en question par une toute jeune Américaine, dans ses articles manifestent leur mécontente-
déterminée et indépendante. ment, et Nellie se trouve reléguée aux rubriques
Nous sommes en 1884, Elizabeth Jane féminines. Il est temps pour elle de voir plus
Cochrane est assise dans le bureau de George loin et plus grand.
Madden, rédacteur en chef du Pittsburg Dispatch,
son journal préféré. Quelques jours plus tôt, elle Témoigner de l’intérieur
lui a envoyé une lettre incisive pour se plaindre Munie d’une lettre de recommandation qui
d’un billet se terminant ainsi : « L’univers de la ne lui ouvrira aucune porte, la jeune journa-
femme se définit d’un seul mot : maison. » Madden liste débarque à New York. Elle arpente Park
lui propose alors de rédiger un article sur la Row, le quartier de la presse, dans la pointe de
question de « la sphère des femmes ». Manhattan. Le soir, dans sa chambre meublée,
Elizabeth choisit d’écrire sur la dignité et le elle cherche avec la dernière énergie une idée
courage des femmes sans privilèges, obligées de qui lui ouvrira les portes du New York World, le
travailler durement pour gagner leur vie. Séduit plus fort tirage de l’époque. Repris en 1883 par
par son écriture, George Madden l’embauche Joseph Pulitzer, le World a connu un développe-
pour 5 dollars par semaine. Reste à lui trouver ment record en peu de temps. Grâce à un savant
un pseudonyme. Ce sera Nellie Bly : un nom dosage de sensationnel et de sérieux, Pulitzer
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