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L'ouRs et L'amateuR des jaRdins

Certain ours montagnard, ours à demi léché,
Confiné par le Sort dans un bois solitaire,

Nouveau Bellérophon(1), vivait seul et caché :
Il fût devenu fou : la raison d’ordinaire

N’habite pas longtemps chez les gens séquestrés(2).
Il est bon de parler, et meilleur de se taire ;

Mais tous deux sont mauvais alors qu’ils sont outrés.
Nul animal n’avait affaire

Dans les lieux que l’ours habitait ;
Si bien que tout ours qu’il était

Il vint à s’ennuyer de cette triste vie.
Pendant qu’il se livrait à la mélancolie,

Non loin de là certain vieillard
S’ennuyait aussi de sa part.

Il aimait les jardins, était prêtre de Flore,
Il l’était de Pomone(3)encore :

Ces deux emplois sont beaux ; mais je voudrais parmi
Quelque doux et discret ami.

Les jardins parlent peu, si ce n’est dans mon livre ;
De façon que, lassé de vivre

Avec des gens muets, notre homme un beau matin
Va chercher compagnie, et se met en campagne.

L’ours porté d’un même dessein
Venait de quitter sa montagne :
Tous deux, par un cas surprenant,
Se rencontrent en un tournant.
L’homme eut peur : mais comment esquiver ? et que faire ?
Se tirer en Gascon d’une semblable affaire
Est le mieux : il sut donc dissimuler sa peur.

(1) Dieu grec, solitaire et mélancolique. (2) Séparés du monde.
(3) Déesses des fleurs et des vergers.

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