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ci comment le rat des villes, n’aimant que le bitume et
les bords de la mer Méditerranée où l’on s’amuse tant, suc-
combe à la grâce de celle qui n’est pas encore devenue fille des
champs. Nous faisons du cinéma ensemble, nous voyageons
jusqu’au bout de la Terre. Bons baisers d’ailleurs, nous reve-
nons bientôt. On dit que les garçons vont souvent vivre dans
les familles des femmes qu’ils épousent. Je confirme. Et dans
le trousseau de la mienne, non loin de Paris, il y a la ferme de
Montaquoy.
La vérité est que « la campagne », j’avais décidé de la regar-
der passer du train, vite fait, et jamais je n’avais eu le goût
d’aller flatter le cul des vaches (des prés), même si l’on
colporte volontiers qu’elles sont douces et gentilles. On ne
peut pas s’intéresser à tout ce qui bouge. Ce serait trop de
gourmandise.
Voir une ferme ancienne pour la première fois, c’est comme
entrer dans une église au fond d’un vallon inconnu, loin du
monde. On pousse le portail d’une grange (basilicum, basi-
lique) et d’antiques odeurs de blé, de bois, de cuir viennent
vous caresser les narines. Il est facile d’imaginer les rituels.
S’il y a de l’ombre, on rêve. On rêve du jour où, il y a bien long-
temps, un homme, charretier, bouvier, a posé là pour la der-
nière fois le licol, le harnais, le grand fouet que l’on découvre,
puis est parti, ou mort ou que sais-je, laissant ici ses affaires
dans un simple sac de jute où dorment ses outils, toutes
choses qui firent son quotidien. Depuis, rien n’a bougé. Parce
que l’on conserve volontiers, à la campagne, la trace de ces
passages d’humains sur la Terre.
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