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balade mortellement infinie. Encastrée dans une petite vallée,
ses flancs de collines la collaient perpétuellement dans l’ombre.
L’endroit avait un potentiel touristique, mais pour faire venir du Pa-
risien, il aurait fallu anéantir toute la population et raser l’ensemble
de ses habitations. Dans la rue piétonnière fleurissaient un bureau
de tabac, un Aldi, un Jeff de Bruges. En se dirigeant vers le front de
mer, on pouvait longer le port de plaisance où flottaient 30 barques
qui n’avaient plus connu le large depuis le siècle passé. Une digue
bétonnée. Deux pontons fuselés. Un rang de falaises dentelées.
L’océan, une histoire, de la douceur, des sinistres.
Émelyne avait pris peur. La panique. Elle n’arrivait pas à expli-
quer sa réaction. Dans son bla-bla-car réservé à la va-vite, la jeune
femme reniflait sa morve et étendait la rougeur de ses yeux à ses
joues. La clio jaune s’arrêta sur un trottoir de l’immense artère
centrale, à environ 7,8 kilomètres des vagues.
Émelyne avait encore les clefs de la maison de son enfance et
rentra sans toquer. Les Z’amours avaient commencé, fallait donc
éviter de parler.
Voilà 3 ans que ses parents n’étaient plus allés voir la mer. De
toute façon, papa et maman ne se sentaient plus chez eux dans
leur commune. Ils ne pouvaient plus encaisser tous ces bobos
du dimanche qui se pavanaient, heureux de faire la queue à la
Criée, pour repartir avec 80 balles de poissons et des coquilles
déjà épluchées. Ses géniteurs préféraient traîner à regarder la télé.
Les jeux, des feuilletons et beaucoup d’informations. C’était im-
portant de se tenir au courant, même s’ils ne foutaient pas un pied
dehors. Sa mère n’avait jamais travaillé. Son père s’était fait virer
de l’usine à fumer le saumon.
Vivement la retraite d’ici une vingtaine d’années.
Une fois montée dans sa chambre de petite fille, en pleurs, Éme-
lyne déballa sa valise. Posters de Lorie, Obispo et Florent Pagny.
Elle était tellement d’accord avec le fait que « l’important c’est
d’aimer ». L’influenceuse s’assit sur son lit, prit son doudou, mor-
dilla sa queue molle et s’endormit comme un navigateur de retour
sur la terre ferme.
Quand elle redescendit au salon, il était 19h. France 3 Normandie
ouvrit son JT.
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ses flancs de collines la collaient perpétuellement dans l’ombre.
L’endroit avait un potentiel touristique, mais pour faire venir du Pa-
risien, il aurait fallu anéantir toute la population et raser l’ensemble
de ses habitations. Dans la rue piétonnière fleurissaient un bureau
de tabac, un Aldi, un Jeff de Bruges. En se dirigeant vers le front de
mer, on pouvait longer le port de plaisance où flottaient 30 barques
qui n’avaient plus connu le large depuis le siècle passé. Une digue
bétonnée. Deux pontons fuselés. Un rang de falaises dentelées.
L’océan, une histoire, de la douceur, des sinistres.
Émelyne avait pris peur. La panique. Elle n’arrivait pas à expli-
quer sa réaction. Dans son bla-bla-car réservé à la va-vite, la jeune
femme reniflait sa morve et étendait la rougeur de ses yeux à ses
joues. La clio jaune s’arrêta sur un trottoir de l’immense artère
centrale, à environ 7,8 kilomètres des vagues.
Émelyne avait encore les clefs de la maison de son enfance et
rentra sans toquer. Les Z’amours avaient commencé, fallait donc
éviter de parler.
Voilà 3 ans que ses parents n’étaient plus allés voir la mer. De
toute façon, papa et maman ne se sentaient plus chez eux dans
leur commune. Ils ne pouvaient plus encaisser tous ces bobos
du dimanche qui se pavanaient, heureux de faire la queue à la
Criée, pour repartir avec 80 balles de poissons et des coquilles
déjà épluchées. Ses géniteurs préféraient traîner à regarder la télé.
Les jeux, des feuilletons et beaucoup d’informations. C’était im-
portant de se tenir au courant, même s’ils ne foutaient pas un pied
dehors. Sa mère n’avait jamais travaillé. Son père s’était fait virer
de l’usine à fumer le saumon.
Vivement la retraite d’ici une vingtaine d’années.
Une fois montée dans sa chambre de petite fille, en pleurs, Éme-
lyne déballa sa valise. Posters de Lorie, Obispo et Florent Pagny.
Elle était tellement d’accord avec le fait que « l’important c’est
d’aimer ». L’influenceuse s’assit sur son lit, prit son doudou, mor-
dilla sa queue molle et s’endormit comme un navigateur de retour
sur la terre ferme.
Quand elle redescendit au salon, il était 19h. France 3 Normandie
ouvrit son JT.
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