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revanche son rythme quotidien était assez intense et donc une
fois allongé, il glissait vite dans un sommeil profond. Béatrice
avait tendance à « mettre sur pause » dès qu’elle se rendait compte
que son époux ronflottait. Il parlait en clignotant des yeux. Elle
n’était pas du genre à prendre de l’avance.
Béa glissait le Macbook sous son lit et commençait à pleurer. Des
mouchoirs étaient toujours à portée de main sur sa table de nuit.
Parfois, quand elle se trouvait trop bruyante, Béatrice descendait
se moucher dans les toilettes. Puis se laissait pleurer, pleurer,
pleurer. En remontant dans sa chambre, elle passait border ses 2
garçons, se recouchait en évitant de tirer sur la couette et ravalait
ses larmes comme si elle buvait la tasse. Souvent elle se mettait
des compresses froides sur les paupières durant une dizaine de
minutes afin de ne pas avoir à justifier des yeux de poisson ma-
lade au réveil. Le matin suivant tout reprenait son cours.

Jeune, Béatrice pétillait, à 30 ans, elle s’éventait. Le yoga, le pi-
lates, l’aquabike ne la comblaient plus. Partout, partout, partout
elle s’ennuyait. Elle essayait malgré tout de faire face. Sa bobine
de fille de médecin généraliste la rendait plutôt sympathique, mais
elle n’attirait plus l’intérêt de personne. Quand elle avait 20 ans,
elle faisait se retourner les garçons et les filles. Elle disait qu’elle
détestait ça, mais le jour où cela a commencé à s’arrêter, ça lui a
manqué éperdument.
Béa redoutait la nuit comme une enfant de 6 ans. Les étoiles ne
l’éclairaient plus. Les ombres faisaient abstraction de la lumière
pour l’endolorir. Le ciel descendait sur elle jusqu’à l’écraser au
sol. Les éléments voulaient sa mort. Le matin suivant tout repre-
nait son cours.
Prendre des décisions devenait de plus en plus impossible. Elle gé-
rait ses enfants comme un automate. Faisait les gestes de la veille
de façon infinie. Tartine, dentifrice, lacet, capuche, bisous, goûter,
lessive, coquillettes, histoire, bisous, film. Pleurs, pleurs, pleurs.
Comment allait-elle s’habiller, jupe ou pantalon, sexy ou dé-
contracté, coloré ou monochrome ? Elle filait à l’école puis au
Conseil Général en Diesel noir, Stan Smith noires, gilet noir sur
chemisier gris et de plus en plus, sa garde-robe gardait ses robes.

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