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s elle était en campagne et dans ce cas précis, plus aucune
considération personnelle ne rentrait en compte. Une voix est une
voix et si pour l’obtenir il faut mettre son petit doigt dans le cul
d’Hitler, allons-y… Comme lui disait sa grand-mamie, « l’urne
n’a qu’une seule vérité ». Sur le marché, elle donnait son tract
« Votre béquille, c’est Bertille ». Tout le monde adorait cette
formule, c’était tellement drôle. Elle faisait aussi les Ehpad, les
matchs de rugby amateurs, les vernissages d’expo en tout genre
et les Premières de la salle culturelle Enrico Macias. Si elle venait
à être élue il est certain que ce nom changerait, « il est de droite,
mais quand même » se disait-elle chaque fois qu’elle voyait l’en-
seigne lumineuse de 10 mètres par 2 sur la façade.

Ce soir-là, il y avait une représentation de Marie-Paule Belle qui
chantait le répertoire de Barbara. Il est certain que ça ne serait pas
une ambiance fofolle avec pogo dans la fosse et solo de cheveux
gras. Jean-Lo vit tout de suite le demi-queue sur scène et se dit
que ça lui suffirait bien. Il se fit rire lui-même. Il s’assit rapi-
dement, espérant que des fesses masculines frottent son visage
en se glissant vers leur place. Bertille serrait des mains, touchait
des épaules, faisait des air-bisous. Elle devenait de plus en plus
populaire. Son mari, siège 078, frétillait des hanches afin de faire
vibrer son joujou anal, histoire de ne pas s’ennuyer mortellement
durant 2 heures.
Une vieille dame arrive sur scène, la nuque longue et des reflets
prunes, un costume d’homme mal taillé sur une chemise blanche
trop grande. Elle avait l’air sympa comme une tante éloignée. As-
sise derrière son Steinwey&Sons, elle paraissait toute petite. Son
piano la dévorait. « Tu m’as dit cette fois, c’est le dernier voyage
/ Pour nos cœurs déchirés, c’est le dernier naufrage / Au prin-
temps tu verras, je serai de retour / Le printemps c’est joli pour se
parler d’amour / Nous irons voir ensemble, les jardins refleuris /
Et déambulerons dans les rues de Paris ». La salle applaudissait,
l‘acoustique était vraiment crade, les gens se levaient et les rappels
s’enchaînaient. « Laisse-moi. Le chagrin m’emporte. Et je vogue
sur mon délire / Laisse-moi. Ouvrez cette porte. Laisse-moi. Je
vais revenir / J’attendrai que ma joie revienne. Et que soit mort

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