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revirent fréquemment car toutes les deux étaient trop libres.
Quand elle déambulait au gré des vernissages et des expositions,
Marguerite croisait quasi quotidiennement Vivian.
Une raie bien marquée et une barrette qui dégageait son front. Ses
vêtements étaient pratiques, ses chaussures faites pour marcher.
Le matin, Vivian s’entourait de deux gamines, Nancy et Mary,
fagotées comme dans un roman de la Comtesse de Ségur. Vivian
avait alors le visage sombre et crispé. En après-midi, la nounou
de métier se transformait en papillon urbain. Tous les reflets des
fenêtres de buildings lui tombaient dessus. Les ombres dansaient
un ballet autour d’elle, les floues l’effleuraient, les profondeurs
l’envahissaient. Vivian était photographe à ses heures perdues.
Sans ne lui avoir jamais parlé, Marge comprenait la complexité
de cette femme. Il fallait qu’elle gagne sa vie pour pouvoir la
vivre. Elle aussi était une super-héroïne, ambivalente, secrète et
méthodique. Plus les jours passaient, plus Marge voulait l’abor-
der, mais elle désirait surtout voir ce que Vivian photographiait.
Elle voulait entrer dans sa tête, dans ses yeux. Cette femme au
chapeau et au Rolleiflex devenait son obsession.
Un vendredi vers 17h, alors que la lumière commençait à se ca-
cher derrière l’Empire State, la jeune marocaine vit au loin une
chemise à carreaux, le dos vouté sur un boîtier moyen format. En
face, un homme dormait la bouche ouverte à l’arrière de sa Cadil-
lac cabriolet. Clic-clac. Elle commença à la suivre discrètement.
Des pigeons venaient picorer des pop-corns sous le regard ren-
frogné d’un gourmand. Clic-clac. Un petit garçon noir lustrait les
souliers d’un petit garçon blanc. Clic-clac. Vivian se positionnait
face à une vitrine pour se servir de sa sombre silhouette afin de
percevoir ce qui se passait à l’intérieur d’un magasin. Clic-Clac.
Ce que voyait Marge était magique. Ce que faisait Vivian l’était
encore plus. Il fallait l’aborder absolument. L’effeuilleuse des Fo-
lies Bergère passa devant l’objectif de la nounou. Elle avait vo-
lontairement entrouvert son chemisier blanc et ajusté son sautoir
perlé. Sa jupe crayon et ses talons de 8 centimètres lui donnaient
une allure d’une classe absolue. Elle entendit clic-clac. Son piège
avait marché.
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Quand elle déambulait au gré des vernissages et des expositions,
Marguerite croisait quasi quotidiennement Vivian.
Une raie bien marquée et une barrette qui dégageait son front. Ses
vêtements étaient pratiques, ses chaussures faites pour marcher.
Le matin, Vivian s’entourait de deux gamines, Nancy et Mary,
fagotées comme dans un roman de la Comtesse de Ségur. Vivian
avait alors le visage sombre et crispé. En après-midi, la nounou
de métier se transformait en papillon urbain. Tous les reflets des
fenêtres de buildings lui tombaient dessus. Les ombres dansaient
un ballet autour d’elle, les floues l’effleuraient, les profondeurs
l’envahissaient. Vivian était photographe à ses heures perdues.
Sans ne lui avoir jamais parlé, Marge comprenait la complexité
de cette femme. Il fallait qu’elle gagne sa vie pour pouvoir la
vivre. Elle aussi était une super-héroïne, ambivalente, secrète et
méthodique. Plus les jours passaient, plus Marge voulait l’abor-
der, mais elle désirait surtout voir ce que Vivian photographiait.
Elle voulait entrer dans sa tête, dans ses yeux. Cette femme au
chapeau et au Rolleiflex devenait son obsession.
Un vendredi vers 17h, alors que la lumière commençait à se ca-
cher derrière l’Empire State, la jeune marocaine vit au loin une
chemise à carreaux, le dos vouté sur un boîtier moyen format. En
face, un homme dormait la bouche ouverte à l’arrière de sa Cadil-
lac cabriolet. Clic-clac. Elle commença à la suivre discrètement.
Des pigeons venaient picorer des pop-corns sous le regard ren-
frogné d’un gourmand. Clic-clac. Un petit garçon noir lustrait les
souliers d’un petit garçon blanc. Clic-clac. Vivian se positionnait
face à une vitrine pour se servir de sa sombre silhouette afin de
percevoir ce qui se passait à l’intérieur d’un magasin. Clic-Clac.
Ce que voyait Marge était magique. Ce que faisait Vivian l’était
encore plus. Il fallait l’aborder absolument. L’effeuilleuse des Fo-
lies Bergère passa devant l’objectif de la nounou. Elle avait vo-
lontairement entrouvert son chemisier blanc et ajusté son sautoir
perlé. Sa jupe crayon et ses talons de 8 centimètres lui donnaient
une allure d’une classe absolue. Elle entendit clic-clac. Son piège
avait marché.
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