Page 103 - Chateaux
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Guy de MAUPASSANT 1850-1893 (suite et fin)
Guy de MAUPASSANT a en fait passé très peu de temps au château de La Neuville Champ d’Oisel.
Il y est venu à l’occasion du mariage de son cousin Louis LE POITTEVIN en août 1868. Il a
entretenu avec lui une correspondance qui fait souvent référence au village et à ses forêts.
Guy de MAUPASSANT à Louis LE POITTEVIN :
Étretat, ce dimanche. (Avril 1868)
« Cher cousin,
Je profite de mes quelques jours de vacances pour t’écrire, car il y a tant de temps que nous ne nous sommes vus,
que tu ne dois pas savoir si je suis mort ou vivant ; d’un autre côté, j’ai perdu beaucoup de temps les années
dernières ; de sorte que je n’ai pas une minute à moi à Yvetot ; il faut travailler sans cesse si je veux réussir à mes
examens, et je dois attendre les quelques moments de repos que me donnent les vacances pour écrire à ceux qui
me sont chers. Il y a vraiment une sorte de fatalité qui nous empêche de nous voir. Quand j’ai été à Rouen à la fin
des grandes vacances dernières, tu n’y étais pas ; et lorsque ma mère et ma tante vous ont vus à La Neuville
j’étais enfermé dans mon cloître d’Yvetot. ».
Louis LE POITTEVIN à Guy de MAUPASSANT :
La Neuville, ce 16 avril 1868
« Mon cher Guy,
Ta lettre m’a rendu bien heureux ; cette marque d’amitié que tu me témoignes me fait assez voir que ton coeur ne
connaît point l’absence et que malgré la distance qui nous sépare il ne craint pas de venir quelquefois faire
comprendre aux habitants de La Neuville qu’il ne les oublie pas.
Il y a, comme tu le dis, bien longtemps que nous ne nous sommes vus, et cela m’est d’autant plus pénible que
nous sommes unis par le sang et par l’amitié, que nos goûts semblent les mêmes et que nos caractères
fraterniseraient indubitablement. Je ne puis penser sans une sorte de serrement de coeur que nous pourrions nous
rencontrer dans une rue et, peut-être, ne pas nous reconnaître, car tu dois avoir bien grandi et par conséquent
avoir changé depuis que nous nous sommes trouvés ensemble à Bornambusc. Une sorte de fatalité, dis-tu dans ta
lettre, nous écarte, nous sépare l’un de l’autre. Eh bien, tu sais quelle elle est, cette fatalité. Réfléchis, tu la
connaîtras comme moi. D’un côté tu trouveras le cloître et de l’autre la faculté de droit.
Voilà les deux seuls obstacles à notre réunion ; sans eux nous pourrions nous serrer plus souvent la main, gravir
les rochers escarpés d’Étretat ou marcher au fond des bois de La Neuville, causer, rire, chanter, faire des vers
ensemble, passe-temps délicieux et remède sans pareil contre l’ennui et la fatigue que cause le Droit à l’esprit.
Tu sentiras aussi, j’en suis sûr, tout le positif de cette science, toute son aridité, quand, après avoir terminé tes
études littéraires, tu te mettras à cultiver le code. Ton esprit passionné pour les lettres ne se courbera pas en un
jour à ce travail. J’ai senti bien souvent pendant des mois entiers le mien prêt à se révolter et je ne sais
véritablement pas comment j’ai continué une étude qui était si en désaccord avec mon caractère. La poésie en
effet cherche les illusions, et il n’y a rien de moins propre à en procurer que les recueils de jurisprudence.
Je te prie toutefois de ne pas prendre entièrement à la lettre tout ce que je te dis à ce sujet ; il y a longtemps que
mon coeur est loin d’affectionner cette étude et il a probablement été un peu loin dans son effusion. Il est trop
certain que nous ne pourrons nous voir encore cette année ; tu vas rentrer dans ton cloître, moi dans mon corpus
juris civilis et le temps se passera sans nous voir réunis.
Enfin, j’espère être plus heureux l’an prochain ; d’un côté, mon droit sera terminé, de l’autre, tes examens de
baccalauréat seront passés, et ces deux obstacles disparaissant nous célébrerons par une pièce de vers le jour
qui nous verra la main dans la main.
Tu me demandes ma photographie, cher cousin ; je ne l’ai pas, sans quoi tu n’aurais pas été obligé de me la
demander, allant au devant de tes désirs, je te l’aurais envoyée depuis longtemps. Aussitôt que j’en posséderai de
nouvelles, tu en recevras une ; quant à mon frère, il en a je crois encore et il t’en fera parvenir une - ma mère aussi
ne vous oubliera pas.
Tout à toi. ».
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Guy de MAUPASSANT a en fait passé très peu de temps au château de La Neuville Champ d’Oisel.
Il y est venu à l’occasion du mariage de son cousin Louis LE POITTEVIN en août 1868. Il a
entretenu avec lui une correspondance qui fait souvent référence au village et à ses forêts.
Guy de MAUPASSANT à Louis LE POITTEVIN :
Étretat, ce dimanche. (Avril 1868)
« Cher cousin,
Je profite de mes quelques jours de vacances pour t’écrire, car il y a tant de temps que nous ne nous sommes vus,
que tu ne dois pas savoir si je suis mort ou vivant ; d’un autre côté, j’ai perdu beaucoup de temps les années
dernières ; de sorte que je n’ai pas une minute à moi à Yvetot ; il faut travailler sans cesse si je veux réussir à mes
examens, et je dois attendre les quelques moments de repos que me donnent les vacances pour écrire à ceux qui
me sont chers. Il y a vraiment une sorte de fatalité qui nous empêche de nous voir. Quand j’ai été à Rouen à la fin
des grandes vacances dernières, tu n’y étais pas ; et lorsque ma mère et ma tante vous ont vus à La Neuville
j’étais enfermé dans mon cloître d’Yvetot. ».
Louis LE POITTEVIN à Guy de MAUPASSANT :
La Neuville, ce 16 avril 1868
« Mon cher Guy,
Ta lettre m’a rendu bien heureux ; cette marque d’amitié que tu me témoignes me fait assez voir que ton coeur ne
connaît point l’absence et que malgré la distance qui nous sépare il ne craint pas de venir quelquefois faire
comprendre aux habitants de La Neuville qu’il ne les oublie pas.
Il y a, comme tu le dis, bien longtemps que nous ne nous sommes vus, et cela m’est d’autant plus pénible que
nous sommes unis par le sang et par l’amitié, que nos goûts semblent les mêmes et que nos caractères
fraterniseraient indubitablement. Je ne puis penser sans une sorte de serrement de coeur que nous pourrions nous
rencontrer dans une rue et, peut-être, ne pas nous reconnaître, car tu dois avoir bien grandi et par conséquent
avoir changé depuis que nous nous sommes trouvés ensemble à Bornambusc. Une sorte de fatalité, dis-tu dans ta
lettre, nous écarte, nous sépare l’un de l’autre. Eh bien, tu sais quelle elle est, cette fatalité. Réfléchis, tu la
connaîtras comme moi. D’un côté tu trouveras le cloître et de l’autre la faculté de droit.
Voilà les deux seuls obstacles à notre réunion ; sans eux nous pourrions nous serrer plus souvent la main, gravir
les rochers escarpés d’Étretat ou marcher au fond des bois de La Neuville, causer, rire, chanter, faire des vers
ensemble, passe-temps délicieux et remède sans pareil contre l’ennui et la fatigue que cause le Droit à l’esprit.
Tu sentiras aussi, j’en suis sûr, tout le positif de cette science, toute son aridité, quand, après avoir terminé tes
études littéraires, tu te mettras à cultiver le code. Ton esprit passionné pour les lettres ne se courbera pas en un
jour à ce travail. J’ai senti bien souvent pendant des mois entiers le mien prêt à se révolter et je ne sais
véritablement pas comment j’ai continué une étude qui était si en désaccord avec mon caractère. La poésie en
effet cherche les illusions, et il n’y a rien de moins propre à en procurer que les recueils de jurisprudence.
Je te prie toutefois de ne pas prendre entièrement à la lettre tout ce que je te dis à ce sujet ; il y a longtemps que
mon coeur est loin d’affectionner cette étude et il a probablement été un peu loin dans son effusion. Il est trop
certain que nous ne pourrons nous voir encore cette année ; tu vas rentrer dans ton cloître, moi dans mon corpus
juris civilis et le temps se passera sans nous voir réunis.
Enfin, j’espère être plus heureux l’an prochain ; d’un côté, mon droit sera terminé, de l’autre, tes examens de
baccalauréat seront passés, et ces deux obstacles disparaissant nous célébrerons par une pièce de vers le jour
qui nous verra la main dans la main.
Tu me demandes ma photographie, cher cousin ; je ne l’ai pas, sans quoi tu n’aurais pas été obligé de me la
demander, allant au devant de tes désirs, je te l’aurais envoyée depuis longtemps. Aussitôt que j’en posséderai de
nouvelles, tu en recevras une ; quant à mon frère, il en a je crois encore et il t’en fera parvenir une - ma mère aussi
ne vous oubliera pas.
Tout à toi. ».
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