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es entre eux pour savoir, sans installer de malaise, s’ils étaient
l’un et l’autre open pour baiser. Régulièrement, une béquille venait
se tordre sur la dureté du matelas avant que Tony ne s’endorme.
BB, elle, ronflottait discrètement, emmitouflée dans une chemise
de bûcheron, le visage au final crispé comme à son habitude.

Tony bossait dans une agence de communication. Un endroit où
on brainstorm dans l’open space afin d’upgrader l’image d’un
client en quête d’amour et de pouvoir. Le matin c’était chaque
fois le même rituel : ouverture des mails, café, point planning,
récap’ de la série Netflix ou de l’émission déco de la veille, café
et enfermement auditif sous un casque disant « Ta gueule » à tous
tes collègues. Le midi, quand il n’y avait pas de déjeuner d’af-
faires c’était une salade de quinoa vegan parce que la viande, c’est
tellement fatigant à digérer. Pis ça monopolise trop d’énergie et
donc ça réduit les performances cérébrales. Parce qu’il en faut des
neurones pour savoir comment vendre un peu plus de glace in-
dustrielle ou pour refourguer du Nutella au tiers-monde après leur
avoir volé leur équilibre écologique. Il faut réfléchir fortement et
quotidiennement pour accompagner ceux qui mettent en place un
système tordu et dénué de bon sens.
Donc Tony et ses amis s’évertuaient à faire passer un diesel pour
une éolienne, une tablette pour un assistant personnel de vie et
un laitage pour ton meilleur copain ! Ils s’amusaient ensemble à
changer les codes au gré des marchés gagnés, des contrats signés
et des montagnes de dollars fait par virement bancaire. Tout était
sous contrôle. Le capitalisme primaire aux manettes et l’accepta-
tion de tout cela sans condition. L’Histoire est pourtant là afin de
piquer les mémoires englouties.

Béatrice avait toujours été un peu perdue. Elle se donnait une
image irréprochable de maman qui travaille, de femme qui tient
sa maison et d’épouse aussi sexy que serviable. Béatrice était
d’une autre époque. Vers 8h30 quand elle amenait ses deux reje-
tons devant la porte de l’école primaire elle attendait que celle-
ci ouvre. Pas une seconde elle n’avait envisagé de les laisser
avec les 60 autres gosses dont les parents étaient déjà dans les

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