Page 116 - I008786_BAT
P. 116
père lui rétorquait sèchement, que c’était un bien grand mot.
Que lui, son papa, était encore là, pis qu’il avait la chance d’avoir
ses grands-parents. « Ils sont gentils avec toi papi et mamie,
nan ? ». Ensuite Bernard retournait à ses occupations laissant son
petit garçon dans une tête pleine de vapeur et de marécage.
Le poison s’était glissé. À 10 ans Tony détestait cette salope qui
l’avait abandonné. À 12, il ne voulut plus jamais en entendre par-
ler. C’est dingue comme les cerveaux d’enfants sont malléables.
Jusqu’à ce que la conscience reprenne ses droits !

Ce matin-là, donc, Louise voulait voir la mer. Elle aimait la marée
basse. Quand la rocaille apparaissait, laissant une faune et une
flore respirer. Elle prenait ses chaussures à la main et nu pieds,
elle s’aventurait au rythme des rencontres avec les anémones, les
crabes, les mouettes. Louise, à ce moment précis, se sentait tel-
lement libre. Son couple était devenu de la merde. Son mec, un
sale con rétrograde et paternaliste. Comment avait-elle pu l’aimer
assez pour lui faire un bébé ? Comme tous les hommes, il la trom-
pait, il picolait, pas trop, mais largement assez. Une fois sa main
s’était levée, mais il n’avait plus jamais recommencé. Son seul
bonheur à Louise, c’était Tony. Elle l’adorait. Mais elle aimait
aussi par dessus tout se balader sur ces galets, seule, les embruns
comme alliés.
L’odeur de l’océan qui se retire, le ciel qui bascule et l’environ-
nement qui s’adapte était un ballet grandeur nature. Elle se posait
sans payer son billet. Le spectacle était toujours assuré.
— B onjour madame, j’ai eu comme un petit pépin, lui dit d’une

voix aiguë un homme au visage désaxé.

Quand Tony arriva à la gendarmerie, il était laiteux. On lui de-
manda de s’asseoir. Très rapidement il comprit que sa présence
n’avait rien à voir avec l’attentat du manoir. Derrière le bureau de
l’adjudant était punaisée une écharpe de Lens « Sang et Or ». Il y
avait un calendrier du plombier d’à côté et des petites merdouilles
entourant des photos de famille encadrées.
Le militaire sortit un sac à congeler. Tony serra la mâchoire, fronça
les sourcils. Il avait une grosse-caisse dans la cage thoracique.

116
   111   112   113   114   115   116   117   118   119   120   121