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me montrait le bout de son nez. Janagold en nuisette de soie
rose poudrée. Gala, en petite culotte et sweat Yankee. Ginger,
les seins debout et les fesses dans un pyjama d’homme. Marge
continuait inlassablement. Toute sa maison se préparait pour une
nouvelle journée. L’odeur du café envahissait le rez-de-chaussée.
Elstar posait sa joue sur l’épaule de « Yaya » et fermait les yeux
en évitant de s’endormir à nouveau.

Seules les intimes l’appelaient « Yaya » car il fallait être très
proche de Marge pour savoir que Yasmina était son vrai prénom.
Nous étions le 8 décembre 1980. Bartolomeo Cristofori était pas-
sé la veille. Tous les ans, elle s’offrait le luxe de faire venir le
plus grand facteur à piano d’Italie pour qu’il lui entretienne son
trésor. Comme elle aimait déposer ses longs doigts, comme pour
la première fois, après les ajustements de Barto. Elle adorait faire
du bien à son Lester. Elle lui devait tellement. Tellement de plai-
sir, de rencontres, de bonheur. Il trônait dans le salon et était le
point de rassemblement incontournable de ce penthouse hors du
commun.
Une fois la place chaude, Boskoop s’éclaircit la voix et pendant
que Marge tartinait pour les filles, la demoiselle caressa délica-
tement le blanc et le noir du bout de ses phalanges adolescentes.
Do, Do majeur 7, Fa, « Imagine there’s no heaven, It’s easy if you
try ». Toutes les voix, de la plus criarde, à la plus langoureuse,
se mirent à chanter en chœur. « No hell below us, Above us only
sky ». Granny simulait la descente de toms de batterie avec ses
baguettes imaginaires. On se prenait par le cou, les bras autour
des tailles, les mains en peau à peau, les coudes entorsadés, les
yeux humides de bonheur et de légèreté. « Imagine all the people
living for today ». Toutes s’attablaient, c’était le point d’orgue de
chaque journée. Le petit-déjeuner. Elles debriefaient leur soirée.
« Hier j’ai fait l’amour avec un mec horrible, il avait une haleine
putride, mais il m’a donné un plaisir dingue », « Comme celui qui
se branlait en parlant de bécane, c’était un cas mais il me faisait
grimper au rideau. « Imagine there’s no countries, It isn’t hard to
do, Nothing to kill or die for, And no religion too, Imagine all the
people living life in peace, you ». « Hier le Palace était bondé,

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