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e pensait régulièrement à solliciter ses muscles profonds qui
stabilisent son tronc. Béa avait la certitude, depuis tant d’années
de pratique, qu’un centre tonifié amenait une colonne vertébrale
en bonne santé. Un de ses petits plaisirs était de contracter son
plancher pelvien dans des situations incongrues. D’équilibrer
ses groupes musculaires antagonistes sans que personne ne s’en
rende compte. Son corps ne subissait plus rien, il était acteur de
l’univers.
Elle attendait impatiemment cette séance hebdomadaire pour être
avec celles qui la comprenaient tant. Celles qui lisaient jusqu’à
ne plus penser. Celles qui se contorsionnaient jusqu’à ne plus
bouger. Dans cette salle municipale au néon agressif et au sol
facilement lessivable, elle déroulait son petit tapis bleu et se plon-
geait dans une concentration absolue. Elle savait qu’à ce moment
même, elle pourrait gravir l’Everest par sa face sud en hiver. Elle
était persuadée qu’elle faisait bourgeonner les magnolias en un
froncement de sourcil. Un halo se diffusait autour d’elle. Béa
n’était plus la sombre merde que ses parents insultaient ou que
sa maîtresse de CM2 martyrisait. Elle était Béatrice Del Imagine,
mère de deux petits garçons, mariée depuis 15 ans à son amour
de lycée, habitant dans un quartier résidentiel sur les hauteurs de
la ville.
Son legging ajusté et son sweat noué autour de la taille, elle re-
descendait chez elle à pied après chaque heure de pratique. Tony
aurait préparé le dîner, mis son assiette de côté, y aurait plus qu’à
la micro-onder. Il serait naturellement en train de raconter une his-
toire à ses adorables petits monstres avant de les coucher. Béatrice
embrasserait sur le front Léopold et Timotée, se rafraîchirait avec
une douche tiède pour ne pas dessécher son épiderme et dégusterait
son plateau repas devant une émission où les gens heureux sont une
normalité, style Maison France 5 ou un truc du genre.
En se couchant, elle essayait toujours de décrocher un léger sourire
de remerciement et s’efforcer de dire « merci la vie ». Fréquemment
une larme perlait sur les rondeurs de ses joues et venait s’écraser
sur sa housse d’oreiller en lin lavé qu’elle avait eue à moitié prix.
Son Tony la rejoindrait quelques minutes plus tard. Il y avait des
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stabilisent son tronc. Béa avait la certitude, depuis tant d’années
de pratique, qu’un centre tonifié amenait une colonne vertébrale
en bonne santé. Un de ses petits plaisirs était de contracter son
plancher pelvien dans des situations incongrues. D’équilibrer
ses groupes musculaires antagonistes sans que personne ne s’en
rende compte. Son corps ne subissait plus rien, il était acteur de
l’univers.
Elle attendait impatiemment cette séance hebdomadaire pour être
avec celles qui la comprenaient tant. Celles qui lisaient jusqu’à
ne plus penser. Celles qui se contorsionnaient jusqu’à ne plus
bouger. Dans cette salle municipale au néon agressif et au sol
facilement lessivable, elle déroulait son petit tapis bleu et se plon-
geait dans une concentration absolue. Elle savait qu’à ce moment
même, elle pourrait gravir l’Everest par sa face sud en hiver. Elle
était persuadée qu’elle faisait bourgeonner les magnolias en un
froncement de sourcil. Un halo se diffusait autour d’elle. Béa
n’était plus la sombre merde que ses parents insultaient ou que
sa maîtresse de CM2 martyrisait. Elle était Béatrice Del Imagine,
mère de deux petits garçons, mariée depuis 15 ans à son amour
de lycée, habitant dans un quartier résidentiel sur les hauteurs de
la ville.
Son legging ajusté et son sweat noué autour de la taille, elle re-
descendait chez elle à pied après chaque heure de pratique. Tony
aurait préparé le dîner, mis son assiette de côté, y aurait plus qu’à
la micro-onder. Il serait naturellement en train de raconter une his-
toire à ses adorables petits monstres avant de les coucher. Béatrice
embrasserait sur le front Léopold et Timotée, se rafraîchirait avec
une douche tiède pour ne pas dessécher son épiderme et dégusterait
son plateau repas devant une émission où les gens heureux sont une
normalité, style Maison France 5 ou un truc du genre.
En se couchant, elle essayait toujours de décrocher un léger sourire
de remerciement et s’efforcer de dire « merci la vie ». Fréquemment
une larme perlait sur les rondeurs de ses joues et venait s’écraser
sur sa housse d’oreiller en lin lavé qu’elle avait eue à moitié prix.
Son Tony la rejoindrait quelques minutes plus tard. Il y avait des
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