Page 183 - I007744_BAT
P. 183
dire, j’ai vécu la moitié de ma vie avec lui. Et quand je

dis vécu, je pèse mes mots. Nous avons tout partagé. Du

plus loin que je me souvienne, Nicolas était présent dans

ma vie. Son visage fait partie des premiers dont je me

rappelle. Je ne sais pas pour vous mais mes premiers
souvenirs sont apparus vers l’âge de quatre ans et il en

fait partie. De la maternelle à la terminale, nous avons

reçu la même éducation, fréquenté les mêmes endroits,
rencontré les mêmes personnes. J’avais parfois
l’impression d’avoir un jumeau. Lorsque je ne
comprenais pas une leçon à l’école, Nico me la

réexpliquait le soir avec ses mots. Des mots simples mais

précis, qui avaient une résonnance particulière chez moi.

Il arrivait à imprimer dans ma caboche tout ce que je
n’avais pas compris dans la journée à cause de ma tête

de pioche. En primaire, il a réussi à me faire lire mon
premier livre. Je vous promets que ce n’était pas facile.

Il avait passé un temps fou à me faire le pitch pour me
convaincre que l’histoire était formidable et que je ne

pouvais pas passer à côté. Il disait que la littérature était
l’une des plus belles machines à rêves. Meilleure que le

cinéma. Il trouvait fantastique le fait que de simples

lettres noires alignées sur une feuille blanche puissent

sortir un lecteur de la monotonie de son quotidien à
l’image d’un clavier de piano qui arrive à nous bousculer
d’émotion dès lors qu’un virtuose glisse ses mains

dessus. Ma mère buvait ses paroles.

Ginette acquiesça au premier rang en hochant la tête.
— Le bouquin qu’il m’avait choisi s’appelait « Le Grand

Meaulnes ». Une des rares choses que je ne lui ai jamais
dites, c’est que je m’étais identifié à ce garçon qui

arrivait par hasard dans un domaine fantastique au cours
d’une fête incroyable. Il avait réussi son pari de me faire
lire avant la fin de l’année scolaire. Je vous avoue qu’il

181
   178   179   180   181   182   183   184   185   186   187   188