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Rokia avait argué auprès de Béatrice qu’elle devait rendre visite
à sa maman souffrante. Elle en profita pour rentrer chez elle, 157
rue Saint-Maur, dans le XIe arrondissement de Paris. Un quartier
où tous les habitants de la capitale, qui se sentent complètement
indispensables à la vie culturelle mondiale, se retrouvent pour
boire des verres et exhibent leur dernier achat vintage dégoté à
moins de 700 euros la pièce. Pour un trentenaire normalement
constitué, c’était plutôt un environnement crade, décati, bruyant
et empestant les échappements. La nuit arrivant, l’ambiance glis-
sait vers l’électrique. Tout prenait vie comme un tableau qu’on
n’avait pas compris. Fallait avouer que le XIe était suffisamment
précis pour que chacun puisse s’identifier aux endroits avant de
se les approprier. Mais ce n’est pas pour toutes ces conneries que
Rokia y habitait.
Après 3 ans passés à l’école supérieure de journalisme de Lille où
elle éclaboussa tout le monde de son talent, Rokia voulut conti-
nuer à se former. Dans sa promo, d’autres ne rêvaient que de pla-
teaux télé, d’infotainment ou de reportages web pour garder leur
liberté de penser. Mais surtout aussi celle de s’exhiber.
La jeune Rwandaise fila sur Paris. Elle voulait découvrir cette
ville dont elle avait tellement entendu parler. La nouvelle diplô-
mée y passa tout d’abord quelques week-ends pour prendre la
température des différents quartiers mais elle revenait inlassable-
ment dans le XXe. Faut dire que ce lundi 4 octobre 2010, en allant
voir les Black Mountain, elle tomba raide dingue amoureuse du
barman de La Maroquinerie. Elle prit un abonnement à cette salle
de concert mythique et y traîna de plus en plus ses All Star.
Jamais elle n’osa l’aborder. Elle lui souriait au loin. Buvait plus
qu’il ne le fallait, juste pour croiser son regard, effleurer sa main.
Quand elle fut certaine de vouloir s’orienter vers des études de
philosophie, Rokia s’inscrivit à la Sorbonne. Elle chercha un ap-
partement lui permettant d’aller deux fois par semaine voir des
lives à la Maro et d’aller à la Fac en moins de 15 min à vélo. C’est
comme ça que la Marseillaise d’adoption arriva rue Saint-Maur
à Paris. Cela faisait 10 ans qu’elle vivait ici. La jeune femme s’y

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