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rires à la récré. Il avait galéré pour se faire remarquer par la
plus jolie fille du collège et pourtant, c’est avec elle qu’il sortit
durant 4 ans. C’est elle aussi qu’il trompa. C’est elle qu’il plaqua
lamentablement et si maladroitement. Il s’en voulait encore. Mais
l’adolescence n’existe que pour faire des erreurs.
Alex n’était plus un gamin, même si aucun trait de sa personnalité
ne le prouvait réellement. Pour la première fois depuis 20 ans,
il savait ce qu’il voulait. Comme si la bouée sur laquelle il était
allongé au large, peinard, se dégonflait et l’emmenait où il fallait
aller. Il ne se sentait bien qu’en présence de Bertille. Il décomp-
tait le temps. Regardait continuellement le visage de cette femme
aimanté sur son frigo. Allait souvent se masturber et replongeait
dans sa tête pour fignoler son plan de séduction. Ses journées fi-
laient à une vitesse folle. Le cerveau d’Alex c’était Beaubourg !
Il évitait les soirées mondaines, les vernissages, les concerts élec-
tro, les happenings. Plus rien n’avait de goût. Il se rendait compte
à quel point c’était un effort pour lui de faire croire. Avec Bertille,
il ne devait pas faire semblant d’être amoureux. Cet état lui ap-
portait une légèreté dont il n’avait plus le souvenir. Un sentiment
qui lui était inconnu.
Il s’écoutait enfin.
Un lundi matin, vers 5h10, il se leva. Enfila un bas de survête-
ment sans caleçon. Un sweat capuche sans T-Shirt et une paire
de Stan Smith sans chaussette. Pas de superflu. Il glissa RAM de
Mc Cartney dans sa platine CD, ouvrit son ordinateur comme un
livre vierge et double-cliqua dans Word sur « Nouveau fichier».
Alex trembla de peur durant un instant. Putain de page blanche.
Un canyon vertigineux, un point d’horizon dans l’océan, une
nuit noire. Putain de page blanche. Ce truc qui te rend si petit.
Ce truc qui t’oblige à te prouver. Il connaissait tant de personnes
qui avaient un roman en cours d’écriture. Chacun racontait en
soirée le thème du livre sur lequel il travaillait, tirait deux taffes
sur un pétard et passait à autre chose. Mais comme un flash de
conscience, il savait aussi que dans son entourage aucun bouquin
n’était jamais sorti physiquement. Il le savait. Au final tout le
monde était un peu comme lui. Tout le monde parlait beaucoup. Il
était temps que ça change. Alex était amoureux. Il se devait enfin

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