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ait. Avoir une mère était devenu un lointain souvenir, comme un
rêve qu’on garde au chaud. Tout cela aurait été moins dur si Louise
l’avait d’abord abandonné émotionnellement, mais c’était tout le
contraire. Sa maman le choyait, le câlinait et jouait tellement avec
lui. Pouf, adieu, plus jamais de nouvelle. Si ça avait été son père, ça
n’aurait pas été pareil. Moins difficile assurément ; là c’était sa ma-
man et il n’avait que 8 ans. Un manque charnel, comme un membre
vital qu’on ampute, qui fait boîter et se sentir en carence.
En grandissant, le plus compliqué à accepter n’était plus son ab-
sence, mais le néant face à cette question : Pourquoi ? Pourquoi
s’était-elle envolée ?
Petit, Tony pensait qu’elle était un ange. Qu’elle devait rendre
heureux d’autres enfants. Que lui avait eu sa dose et devait faire
avec, s’en contenter. Puis il se souvenait des cris, des insultes, des
gestes déplacés, violents parfois mais pas si souvent. De toute
façon son père n’avait jamais évoqué cette « disparition ».

Ses manies et ses tocs apparurent. Tony les accepta comme de
nouveaux amis. Il devait s’occuper d’eux. Ses obsessions étaient
la preuve que sa mère avait bien existé. Les mots qu’il se répétait
inlassablement dans sa tête avaient la voix de Louise. Ses pro-
blèmes étaient une façon d’entretenir sa présence.
Comme tous les enfants abandonnés, Tony culpabilisait. S’il avait
été plus beau, plus gentil, plus aimable. S’il avait été une fille,
serait-elle quand même partie ? Le gouffre était infini. Il voulait
l’aimer de nouveau, lui pardonner, mais lui pardonner quoi ? Il
savait que pour faire cette démarche, il devait en savoir plus sur
elle. Son enfance, son éducation, ses amours. Quelles blessures
l’avaient poussée à le transformer en grand accidenté. Le mal-
heur puise toujours dans une histoire. Les failles du passé rendent
souvent le pardon anecdotique. Il voulait devenir père très jeune,
pour faire vaincre l’amour. Béatrice n’avait rien contre.
Tony avait un métier qu’il aimait, quand il n’y pensait pas trop.
Des enfants parfaits, qu’il avait du mal à éduquer. S’impliquer
pour lui était compliqué. Tout pouvait à tout moment s’évaporer.
Sa femme l’avait sauvé, Béa était une fée. Pourtant, il s’était ren-
du compte qu’elle glissait. Qu’elle se levait pour se cachetonner.

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