Page 99 - I008786_BATv2
P. 99
gèreté, qui s’envolait vers les alizés, venait de s’écraser dans le
poulailler, merci les 4 mecs cagoulés.
Elle traînait avec sa tablette et son iPhone 12 dans sa combinai-
son pyjama-mono-body. Le plumard, le sofa. Le sofa, la cuisine.
La cuisine, le plumard. Émelyne dépensait toutes ses forces à es-
sayer de rester au courant de l’actu des stars. Elle survolait des
articles qu’elle aurait dévorés tout cru une semaine auparavant.
« Beyoncé reste la seule meuf à nous donner envie de porter des
moufles avec un bustier ». Elle se jetait sur des breaking news du
style « Une étude prouve que les poches des jeans pour femmes
sont bien plus petites que celles des hommes. Est-ce que c’est pas
l’heure d’en finir avec cette injustice ?! ». Émelyne ne creusait
plus rien. Elle était dans l’fond d’sa life. Elle comptait bien sur
Google pour la sortir de là, mais ses yeux pleuraient tellement,
qu’elle flippait d’endommager son matériel électronique. La
jeune femme levait donc parfois la tête. Elle regardait à travers sa
fenêtre. « Un carreau, c’est comme un énorme écran, mais avec
la réalité dedans. C’est pas mal en fait. Il doit faire au moins 2000
pouces ». Et elle se remettait à pleurer. « Bunny, le chien qui parle
sur TikTok, menace-t-il l’humanité ? ». Sur un plateau repas, elle
ne se serait jamais mangée. Émelyne commençait à se dégouter.
Tibo n’était plus là. Il avait repris le boulot illico. Besoin d’air, de
sortir, de respirer et de fuir sa chérie qu’il n’avait pas pu protéger.
Il n’arrivait plus à la regarder. Tibo était meurtri dans sa mascu-
linité. Il pensait que les hommes en général devenaient tous des
tapettes. Que tout glissait. Que les rôles s’inversaient. Que les
féministes procédaient au grand remplacement. Et au moment où
lui, était en mesure de faire ses preuves et de rentrer dans les cases
du schéma qui l’avaient construit, eh bien, il échouait.
Lui, putain, lui, l’homme, il aurait dû secourir sa femme. C’était
ainsi, un point c’est tout. Tout le reste, c’était du foutre de castor.
Il s’en voulait et pire encore. « Ça aurait été mieux que j’prenne
une balle ». Donc, il courait de rendez-vous en appartements à
louer. La veille, il était passé furtivement voir Bertille, comme
un coup de vent, sans se préparer, juste dans son sweat capuche.
Tibo était dévasté. Il ne croyait plus en rien. Sa haine ne faisait
que s’amplifier et ça le rendait laid.

99
   94   95   96   97   98   99   100   101   102   103   104