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atrice
C’était sa saison préférée. Pour la première fois de sa vie Béa-
trice était attentive à l’explosion de la glycine. Le moment où les
branches sèches, ressemblant à d’énormes racines au vent, poussent
vers leurs extrémités des têtes bourgeonnées. L’instant où la mort
nous parle au passé. Des pluies de grappes violacées en suspension,
figées, fixées dans le ciel, le temps d’une courte éternité. Tous les
matins, elle portait une attention particulière à cette plante majes-
tueuse qui courait autour de sa terrasse suspendue. La protégeait
des regards impromptus. Ces milliers de points mauves formant
un bouclier, éphémères alcôves, élégance surannée. Le temps lui
appartenait. Comment avait-elle pu ainsi tout laisser filer, sans ja-
mais se retourner ? Béatrice se le promettait, chaque floraison de
ces papillonacées lui rappellerait son besoin de liberté. Maintenant
qu’elle y avait gouté, sa gorge en était imprégnée. La jeune femme
était bien décidée à ne plus jamais s’en passer.
Émelyne
Émelyne avait toujours confondu certaines notions essentielles
qui bâtissent et forment une personnalité autonome. Elle avait
longtemps pensé que la jalousie était une preuve d’amour. Que le
confort matériel avait des conséquences sur la qualité de vie. Que
la popularité induisait l’exemplarité. La jeune femme de 23 ans
s’était construite sur des marnières. Jusqu’au décès de son mec,
l’escalade de la superficialité était une ascension qui ne faisait
que commencer. Et Tibo se tua. Une balle, plus rien.
Au contact de Marge et de Béatrice, Émelyne réorientait sa voi-
lure. À son âge, on a encore tout à sauver. Il fallait juste ne pas ra-
ter l’opportunité. La sienne avait été que son amoureux se flingue
à bout portant. Une chance qui ne se représente que très rarement.
Après une tristesse non dissimulée, elle s’était relevée et révé-
lée être une personne moins confite, moins congelée. Émelyne
avait encore la candeur de l’enfance. La naïveté d’une gosse à
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C’était sa saison préférée. Pour la première fois de sa vie Béa-
trice était attentive à l’explosion de la glycine. Le moment où les
branches sèches, ressemblant à d’énormes racines au vent, poussent
vers leurs extrémités des têtes bourgeonnées. L’instant où la mort
nous parle au passé. Des pluies de grappes violacées en suspension,
figées, fixées dans le ciel, le temps d’une courte éternité. Tous les
matins, elle portait une attention particulière à cette plante majes-
tueuse qui courait autour de sa terrasse suspendue. La protégeait
des regards impromptus. Ces milliers de points mauves formant
un bouclier, éphémères alcôves, élégance surannée. Le temps lui
appartenait. Comment avait-elle pu ainsi tout laisser filer, sans ja-
mais se retourner ? Béatrice se le promettait, chaque floraison de
ces papillonacées lui rappellerait son besoin de liberté. Maintenant
qu’elle y avait gouté, sa gorge en était imprégnée. La jeune femme
était bien décidée à ne plus jamais s’en passer.
Émelyne
Émelyne avait toujours confondu certaines notions essentielles
qui bâtissent et forment une personnalité autonome. Elle avait
longtemps pensé que la jalousie était une preuve d’amour. Que le
confort matériel avait des conséquences sur la qualité de vie. Que
la popularité induisait l’exemplarité. La jeune femme de 23 ans
s’était construite sur des marnières. Jusqu’au décès de son mec,
l’escalade de la superficialité était une ascension qui ne faisait
que commencer. Et Tibo se tua. Une balle, plus rien.
Au contact de Marge et de Béatrice, Émelyne réorientait sa voi-
lure. À son âge, on a encore tout à sauver. Il fallait juste ne pas ra-
ter l’opportunité. La sienne avait été que son amoureux se flingue
à bout portant. Une chance qui ne se représente que très rarement.
Après une tristesse non dissimulée, elle s’était relevée et révé-
lée être une personne moins confite, moins congelée. Émelyne
avait encore la candeur de l’enfance. La naïveté d’une gosse à
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