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viens-toi des Choses de la vie

dans lequel il lui demande de le rejoindre le soir à Rennes, où
elle est attendue « impatiemment », sans pour autant détruire la
lettre qu’il met machinalement dans sa poche. Cette lettre écrite
dans un mouvement d’humeur contradictoire exprime bien les
« intermittences du cœur47 » de Pierre et contient une résolu-
tion désormais anachronique… Cette lettre de rupture est sans
doute un clin d’œil au Mépris de Jean-Luc Godard, dont Claude
Sautet admirait les films. Sautet utilise ici le même procédé que
Godard. Pendant que les personnages sont en voiture, la lettre
défile devant nos yeux. Ici : « Je te quitte. Nous allions devenir
misérables [à l’image de ce couple à la fois pitoyable et carica-
tural qui se dispute et que Pierre vient de prendre en stop]. Ce
que je refuse. Je préfère continuer ma vie seul. » Dans Le Mépris
de Godard, symétriquement, c’est Paul Javal/Michel Piccoli qui
est quitté par Camille/Brigitte Bardot : « Je t’embrasse. Adieu.
Camille. » Avec, en toile de fond, un accident de voiture qui se
termine mal dans les deux films, toujours en Alfa Romeo !

Sur la route mouillée, Pierre roule « à sa vitesse48 », il allume
la radio. On entend l’allegro de La Notte de Vivaldi. Comment
ne pas voir en lui un homme déjà au crépuscule de sa vie, sem-
blable à ces « vieux clandestins » évoqués par Dino Buzzati, qui
se cachent derrière ceux que la mort guette à leur insu, malgré
leur jeune âge : « Très vieux est l’automobiliste de trente ans
[ici, la quarantaine] qui dans une heure se fracassera contre un
arbre49. » Dans les minutes qui précèdent l’accident, Pierre se

 47.  Selon l’expression de Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu.
 48.  Selon les mots du chauffeur du camion.
 49.  Dino Buzzati, Le Rêve de l’escalier (Le notti difficili, 1971), traduit de l’ita-

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