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père. Il y avait forcément quelque chose qui clochait. Un fois
l’émission de Christophe Hondelatte terminée elle commença à
sortir son service à café en porcelaine de Paris. Elle avait encore
ses douze tasses, douze sous-tasses, une verseuse, un pot à lait et
un sucrier. Toutes les anses étaient en feuille d’or, c’est pour cela
que sa femme de ménage ne les mettait pas au lave-vaisselle.
Sur tous les éléments, un décor représentant des singes costumés
dans un environnement tropical flamboyait encore de ses couleurs
d’origine. Il est vrai que l’illustration était colonialiste, voire un
tantinet raciste, mais elle se disait qu’il ne fallait pas juger l’His-
toire a posteriori et que ce service à café était tout simplement
magnifique. Cette dînette ne s’échappait du vaisselier que pour
les grandes occasions, mais aujourd’hui Bertille recevait ses pre-
miers soutiens politiques. Elle voulait parler de son programme
pour la ville à ses administrés et avait organisé une Tea Party. Elle
se trouvait un peu provocatrice en appelant ces après-midis entre
copines de la sorte car la référence à Sarah Palin était évidente.
Mais elle aimait cette personnalité, elle trouvait que sa popula-
rité de l’autre coté de l’océan Atlantique était légitime, merde
alors ! Pourquoi une femme ne pouvait pas être aussi bête qu’un
homme, c’était aussi ça l’évolution des mentalités. Pour Bertille
le réchauffement climatique était encore à prouver, le système de
santé coûtait trop cher aux contribuables, la peine de mort dimi-
nuerait mathématiquement le nombre de criminels, l’avortement
était un crime contre l’humanité et le mariage gay la dégoûtait
plus que tout. Pouaf deux langues d’hommes qui se touchent.
Imaginer la suite la répugnait, alors que personne ne l’y forçait.
Pendant ce temps Jean-Laurent était en séminaire dans le nord de
la France, ou en Belgique, elle ne savait plus trop. Il était conti-
nuellement en déplacement. Son mari travaillait tellement.
Ses madeleines sortaient tout juste du four quand la première son-
nette retentit. Des petits cris aigus venaient faire glinguer le lustre
en cristal de l’entrée. « Ma chérie » par-ci, « ma chérie » par-là,
« comme tu es belle » « qu’est-ce que tu as fait à tes cheveux ? »,
« magnifique »… une avalanche de compliments injustifiés et
gratuits.
Bertille déroula son affiche de campagne que toutes avaient vue

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