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n-Claude Romand. Certes, assassiner sa propre famille n’avait
aucun intérêt, car elle était son unique source de revenu, mais il
comprenait totalement qu’on puisse en arriver là pour protéger un
mensonge. Les gens ne pouvaient pas comprendre. La vie qu’il
s’était inventée était véritablement devenue la sienne. Il lui arri-
vait de lire des articles pour avoir un peu de conversation, des no-
tions, un lexique, de quoi tenir 7 minutes dans une discussion puis
il lançait un radical « mais suffisamment parler de boulot, on est
là pour se détendre, on le mérite bien quand même, non…? » et
là, il enchaînait avec un sujet préparé à l’avance sur la politique,
parce que la politique c’est pas difficile d’en parler sans rien y
connaître.
Son entourage était plutôt macroniste, donc il n’avait pas trop de
mal à raconter n’importe quoi pour les convaincre qu’il savait des
choses. Beaucoup dans la posture, énormément dans la convic-
tion et au final sans trop de fond, ni de cohérence d’une soirée
sur l’autre… ça passait crème, l’illusion était parfaite !
Donc tout était rodé. Papa/Maman lui viraient 5 000 euros en dé-
but de mois pour survivre et c’est ce qu’il faisait. Il se dépatouil-
lait comme il pouvait, dans ce marécage de boue qu’étaient ses
longues journées.

Ce matin-là, en allant à son Carrefour City, on lui avait tendu
un papier avec la tronche imprimée d’une nana qu’il croisait de
temps à autre dans son quartier. Il s’en souvenait car ses clones
d’enfants le faisaient sourire. C’était un peu l’Empire contre-at-
taque mais en 4x4 Volvo ! Impossible de mettre un visage sur son
mari, mais elle, visuellement, il la connaissait bien.
Une fois arrivé chez lui, en vidant ses poches dans le saladier de
l’entrée prévu à cet effet, il posa plus longuement son regard sur
cette jeune femme. Elle était jolie alors qu’il ne s’en était jamais
rendu compte. Des traits fins, un petit nez et des lèvres plutôt
gourmandes. Bertille avait une coupe de cheveux à chier, mais
être catholique impose des sacrifices. Pour la dédouaner on ne
peut pas dire que Jésus était l’incarnation de l’élégance… Il res-
semblait quand même plus à Kurt Cobain qu’à Marc Jacob. Elle
avait un truc dans le regard. Un truc naïf mais déterminé, comme

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