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re, la finalité de cette démarche. Autour de la table du salon,
il y avait un photographe de mode, qui shootait à ses heures per-
dues un peu de produits en studio pour la grande distribution.
Une artiste peintre, qui faisait tourner des expos dans pas mal de
galeries new yorkaises mais aussi dans son atelier permanent à
Honfleur. Il y avait aussi Matthieu et Fabien, les mecs d’un duo
électro et qui se produisaient dans pas mal de festivals. Ces deux-
là s’étaient rencontrés à un concert privé de Elegant Mammifère
en 2001. Ils étaient trop fans de ce groupe rouennais durant leur
période universitaire. Dans la foulée, ils avaient investi du fric
dans des platines et des claviers, fait quelques morceaux qu’ils
avaient basculés sur Myspace et remplissaient depuis 20 ans des
petites salles ou des grands espaces en plein air sous le nom de
Monotrème. Ils en vivaient plutôt correctement pour des musi-
ciens. Alex lui, s’inventait une vie d’auteur maudit, toujours un
manuscrit en relecture. Il faisait circuler des bribes de son œuvre
à son entourage de temps à autre pour faire illusion. La réalité
était qu’à plus de 30 ans, Alex n’avait jamais fini une histoire.
Il avait bouclé une chanson ou deux, pas dégueu d’ailleurs. Il
les faisait régulièrement en soirée quand une guitare folk traînait,
mais il arrêtait rapidement quand on lui demandait de jouer un
truc connu. En fait ça l’arrangeait vu qu’il ne connaissait que ses
deux propres compositions. Peggy et Lucien eux, étaient illustra-
teurs et plasticiens. Ils bossaient en couple. Leur matière première
était à base de taxidermie. Chacun voulait alerter le monde à sa
façon sur la destruction massive de l’écosystème. Hyper présents
dans le microcosme cultureux local, ils se défonçaient pour avoir
des subventions, des lieux de création et de la visibilité. Leur dé-
marche était extraordinairement déroutante. En vrai, ils faisaient
peur à Alex. Tous ces gens-là faisaient peur à Alex, mais il fallait
absolument traîner avec eux pour avoir de la légitimité, afin de
construire son personnage. Pour être un temps soit peu, ce qu’il
prétendait être. Il fallait organiser des soirées, monter des installa-
tions, se cogner des vernissages et faire croire que ça l’intéressait.
S’il n’avait pas ça, il n’était rien, et ça aurait été très dur à vivre.
Une fois tout le monde parti, vers 3h du matin, il se fouta la queue
à l’air et commença à se branler en pensant à Bertille. Il ne put

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