Page 48 - I008786_BAT
P. 48
mercredi soir, quand vers minuit elle descendit les escaliers
si escarpés de la cave du Colombier, il n’y avait pas un chu-
chotement. Même les verres qui clinquaient à tout va habituel-
lement se taisaient. La symbiose parfaite entre deux hommes.
L’amour chimérique en fumée. Un saxophone, un piano. John
Coltrane, Thelonious Monk. Marge avait déjà entendu parler
de ces deux zozos qui envoûtaient le monde de la musique. Les
écouter changea sa vie. Pour elle c’était enfin la vérité.
Comme le joueur de flûte de Hamelin, ces deux musiciens hyp-
notisaient la foule et en faisaient ce qu’ils désiraient. Les gens
pleuraient, riaient, dansaient, se taisent et rentraient chez eux sans
avoir conscience qu’ils avaient été sous l’emprise de forces bien
plus puissantes qu’eux. Tout le monde en redemandait. C’était ça
le vrai pouvoir !
Il était évident qu’à la moindre opportunité Marge achèterait cette
relique. Elle la voulait pour elle, la prendre dans ses bras, la cares-
ser, la garder égoïstement.
En ce 3 octobre 1953, entrant dans le club, elle se tétanisa. Son
amie Hélène qui adorait l’accompagner dans cet endroit magné-
tique s’arrêta et regarda Marge qui était devenue d’une blancheur
fantomatique. Le coin de ses lèvres tremblait. Elle tendit l’oreille.
Elle en était persuadée. Ce n’était plus le son du Lester qui tour-
billonnait au sous-sol, c’était une évidence. Moins de velours,
moins de sensualité, moins de précision, moins d’odeur, moins de
silence. Son remplaçant dégageait une mélodie écarlate, dense et
tonique. Oui, la salle était en transe comme la vieille et l’avant-
veille, mais Marge fondit, suffoqua, s’étouffa.
Elle écarta la masse, passa derrière le bar, poussa la porte battante
« réservée au personnel », fila au bout du couloir et sans toquer,
entra dans le bureau de la direction.
Paul-Annet buvait un chivas en fumant un cigare ramené spécia-
lement pour lui de Cuba.
— P aul tu n’as pas fait ça ?
— P as fait quoi ma chérie, que se passe t-il ? Tu ne vas pas bien,
tu veux t’asseoir, boire un verre…
— T u n’as pas fait ça Paul, hein dis moi, tu n’as pas fait ça ?
48
si escarpés de la cave du Colombier, il n’y avait pas un chu-
chotement. Même les verres qui clinquaient à tout va habituel-
lement se taisaient. La symbiose parfaite entre deux hommes.
L’amour chimérique en fumée. Un saxophone, un piano. John
Coltrane, Thelonious Monk. Marge avait déjà entendu parler
de ces deux zozos qui envoûtaient le monde de la musique. Les
écouter changea sa vie. Pour elle c’était enfin la vérité.
Comme le joueur de flûte de Hamelin, ces deux musiciens hyp-
notisaient la foule et en faisaient ce qu’ils désiraient. Les gens
pleuraient, riaient, dansaient, se taisent et rentraient chez eux sans
avoir conscience qu’ils avaient été sous l’emprise de forces bien
plus puissantes qu’eux. Tout le monde en redemandait. C’était ça
le vrai pouvoir !
Il était évident qu’à la moindre opportunité Marge achèterait cette
relique. Elle la voulait pour elle, la prendre dans ses bras, la cares-
ser, la garder égoïstement.
En ce 3 octobre 1953, entrant dans le club, elle se tétanisa. Son
amie Hélène qui adorait l’accompagner dans cet endroit magné-
tique s’arrêta et regarda Marge qui était devenue d’une blancheur
fantomatique. Le coin de ses lèvres tremblait. Elle tendit l’oreille.
Elle en était persuadée. Ce n’était plus le son du Lester qui tour-
billonnait au sous-sol, c’était une évidence. Moins de velours,
moins de sensualité, moins de précision, moins d’odeur, moins de
silence. Son remplaçant dégageait une mélodie écarlate, dense et
tonique. Oui, la salle était en transe comme la vieille et l’avant-
veille, mais Marge fondit, suffoqua, s’étouffa.
Elle écarta la masse, passa derrière le bar, poussa la porte battante
« réservée au personnel », fila au bout du couloir et sans toquer,
entra dans le bureau de la direction.
Paul-Annet buvait un chivas en fumant un cigare ramené spécia-
lement pour lui de Cuba.
— P aul tu n’as pas fait ça ?
— P as fait quoi ma chérie, que se passe t-il ? Tu ne vas pas bien,
tu veux t’asseoir, boire un verre…
— T u n’as pas fait ça Paul, hein dis moi, tu n’as pas fait ça ?
48