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qu’ils en avaient, c’était Bertille leur cible, moi je suis
qui ? moi je suis qui ? moi je suis qui ? ». Pour cette jeune
femme, qui deux jours auparavant se prenait pour le centre du
monde, ce triste constat la dévasta encore plus. Réfléchir ne lui
réussissait définitivement pas.

La peur. Quelle abomination. Afin d’éviter un mal plus grand,
on devait en subir un moindre. Le problème se mangeait et
se régurgitait lui-même, sans se digérer. C’était une tristesse
latente faite pour inhiber les actions à venir. La peur congelait
tout. La peur était le verrou de la liberté. Sa peur était devenue
une stratégie de protection qui l’engloutissait. Il était évident
que la peur d’Émelyne lui ferait plus de mal que les 4 mecs
cagoulés. Cette peur était un animal patient.

La jeune femme ne savait pas comment elle allait s’en sortir.
Mettre un pied dehors était inconcevable, mettre un pied hors
de son lit, un challenge incertain. Tibo était sous son casque
écoutant du PNL à fond. Parfois il prenait une manette et fai-
sait un Call of Duty afin de se défouler sans casser son mobi-
lier Ikea.
Le soir, ils scotchaient face à un plateau TV Picard en re-
gardant BFM. L’info tournait en boucle. « Attentat islamiste
chez une candidate aux municipales ». « L’héritière du groupe
Grouchon, cible d’un attentat terroriste ». « Mais qui en veut
à la famille De La Berthelière ? ». « Un blessé grave lors d’un
attentat à l’arme à feu près de Rouen ». « Ils auraient crié à plu-
sieurs reprises « allahu akbar » avant de tirer dans la foule ».
« Tirer dans la foule » et « un blessé grave » dans la même
minute. Est-ce que cela avait du sens ? Est-ce que cela était
possible ? L’information devenait une fiction et chacun com-
mençait à se l’approprier, à la saupoudrer en fonction de ses
convictions intimes. Émelyne et Tibo avaient les yeux écar-
quillés et se laissaient perfuser de conneries irréelles. Émelyne
pleurait. Tibo ne desserrait pas les dents.

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