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ait en train mettre bas. Le pauvre avait perdu plus de vingt kilos
et n’était plus qu’une plume dans les mains de son pote.

Mais les yeux vides de Nicolas s’étaient vite remplis de
pétulance face au spectacle qui s’annonçait. Assis dans le foin,
il avait oublié que dans son ventre c’était Verdun. Il prit plaisir

à regarder Alex mettre au monde le poulain. La vue de ce petit
être innocent lui avait redonné du baume au cœur. Que la vie
était belle même si elle lui rappelait que l’arrivée d’un être ne
pouvait se faire que si d’autres leur laissaient de la place. La
Terre n’était pas assez grande pour tolérer le concept
d’immortalité. La mort était inscrite dans nos gênes et c’était
pour cette raison que nous devions l’accepter.

Une fois le poulain lavé de son placenta, Alexandre était

venu se poster à côté de Nicolas. Les deux étaient redevenus des

enfants. Le fermier lui avait dit à voix basse en toute complicité :
— Ce n’est pas mon père qui m’a donné l’envie de faire ce

métier tu sais mais le tien.
— Comment un médecin a pu te guider vers l’élevage ?
— Eh bien lorsque je l’ai vu mettre au monde Petit Joufflu,

je me suis dit qu’un jour, ce serait à mon tour de faire
naitre des animaux. Et comme je n’avais pas le niveau

pour être véto, je suis devenu éleveur.

La soirée du 23 septembre 1978 avait eu un impact
incroyable sur les deux garçons. Bien plus que ce qu’on aurait
imaginé à l’époque. En plus d’un merveilleux souvenir, elle leur

avait forgé une ligne de conduite.
— Merci Alex. Merci de m’avoir fait revivre ça. Tu ne peux
pas savoir l’énergie que je ressens. Il y a quarante ans ici-

même, nous avons assisté à quelque chose de magique.
Sans savoir l’expliquer sur le coup, nous avons eu une

révélation en recevant une leçon de vie. Face à
l’incertitude de la naissance du veau, face aux
complications et à l’intensité du moment, nous avons
appris que la vie se méritait et qu’elle n’était pas innée.

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