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lexique était limité et sa sensibilité enrobée d’une armure ser-
gée. Enfouie dans ces coussins aux bords vifs, la jeune fille se fai-
sait border, dorloter, corseter. Marge lui gansait ses blessures, lui
crantait les fêlures, drapait ses surpiqûres. Leur relation devenait
de la haute couture.
Sans se froncer, sans se froisser les deux amazones se domptaient
et cohabitaient.
Émelyne n’avait pas d’autre endroit où aller et ne pensait pas une
seconde à décamper. C’est avec Marge qu’elle se reconstruisait.
C’est dans son café du matin qu’elle pansait ses plaies. Personne
ne s’était occupé d’elle ainsi. Émelyne découvrait quotidienne-
ment, avec stupeur, qu’on ne l’avait jamais réellement aimée au
point de tout faire pour la sauver de ses gouffres. Chaque geste
de Marge la touchait, chaque attention la dévastait. Elle ne com-
prenait pas pourquoi cette dame, qu’elle ne connaissait pas 6 se-
maines auparavant, s’impliquait autant pour ne pas qu’elle va-
cille. « Quel était son intérêt ? » voilà ce qu’Émelyne se disait.
Cette question, Marge ne se l’était évidemment jamais posée.
70 ans après, Cary lui réchauffait encore le cœur. Elle savait que
sa jeune invitée ne se remettrait pas rapidement de toute cette
dérive, de toutes ces noirceurs. Mais Émelyne était incroyable.
Rapidement elle re-mangea, re-sourit, re-bondit, re-naquit. Le
phoenix n’avait qu’à bien se tenir. La chenille, le cocon et le pa-
pillon venaient toujours à l’esprit de Marge en voyant sa nouvelle
amie, mais la situation était plus complexe. L’animal ne s’était
pas transformé. Il était mort et avait ressuscité.
Elle se souvenait très bien lors de cette soirée au manoir, avoir
vu débarquer cette grande sauterelle engoncée dans sa robe trop
serrée. Ses petits pas couraient derrière son Tibo tétanisé. Tout ça
lui revenait. Ce n’était pas la même femme qu’elle avait en face
d’elle, assise sur son canapé.
Émelyne se redressait, ses yeux perçaient, sa nuque la portait. Son
téléphone ne lui servait plus qu’à téléphoner mais la seule per-
sonne avec qui elle avait envie de discuter était assise à son piano,
face à ce canapé. Ce canapé avait tout changé. Le temps passant,
Tibo devenait un triste souvenir. Émelyne pivotait chaque jour un
peu plus vers son avenir.

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