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te la pièce. Les lustres s’effondrèrent. La panique envahit
l’obscurité. La poussière devint écran de fumée. Des hurlements,
des cris, l’odeur du sang. Marge une fois dehors, se mit à compter
comme un moniteur de colonie, 6, 7, 8. Il en manquait une. Toutes
n’étaient pas sorties.

Ce n’est qu’en sortant du coma, plusieurs jours après, que la de-
moiselle apprit ce qui lui était arrivé. C’était aussi la première fois
qu’elle entendit le mot « intégriste » sans en connaître clairement
sa signification.
Des actes revendiqués par l’extrême droite catholique. Celle qui
avait décrété la guerre sainte. Celle branchée sur Radio Courtoisie
qui conseillait à ses fidèles de « bien faire attention à ne pas se
blesser, si l’envie leur en prenait de taillader à coups de cutter les
sièges des cinémas qui diffusaient cette horreur ». Comment un
film parlant de Jésus pouvait provoquer autant de haine ? Com-
ment la bêtise se répandait et se gueulait à perdre haleine ?
S’en suivirent à ce samedi meurtri : cocktails Molotov, bombes
lacrymogènes, destructions de fauteuils, incendies de salles de
projection. L’Agrif, association lepéniste défendant le respect de
l’identité française, lançait des menaces à tout-va. « Les salles
de cinéma qui se prêteront au blasphème public doivent savoir à
quelle réprobation active elles s’exposent ».
Ne jamais avoir la mémoire courte concernant l’Histoire. Les ex-
trémistes d’aujourd’hui, condamnés par ceux qui l’étaient d’hier.
Ils crucifient les méthodes guerrières des deux Kouachi frères,
évidemment. Ne pas oublier que tous ces croisés les utilisaient à
l’époque de manière outrancière. Pas de hiérarchie dans la haine !
Marge fut marquée par cet attentat, profondément bouleversée.
Elle ne voyait plus Paris comme une étoile du berger. Petit à pe-
tit, ses filles s’émancipaient. Marguerite n’acceptait plus aucune
arrivée. Quand elle se retrouva seule, elle vendit son cocon, en
larmes, sans se retourner. Adieu BoulMich, Adieu mon passé.
40 ans de sa vie dans cet écrin sucré. 40 ans de douceur, d’amour
et de liberté. À 58 ans, Yasmina était de nouveau sur une ligne de
départ. Comme le jour de ses 15 ans, debout, sur le quai de la gare
à attendre un wagon aléatoire.

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