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viens-toi des Choses de la vie

avec Hélène. Il voudrait « brûler la lettre pour ne pas vivre seul ».
Tous ceux qu’il aime sont réunis dans une « valse lente qui mène
à la mort68 ». Soudain, il tombe à la mer. Le voilier s’éloigne. Il
perd pied et s’enfonce doucement dans la mer, en murmurant au
terme de son monologue intérieur : « Ils ont détraqué la musique
de l’orgue [= organisme !]. Le musicien s’est endormi… »

L’autre défi pour Claude Sautet consistait à filmer la mort sans
la montrer69, à suggérer l’invisible au travers du visible, au moyen
d’images qui évoquent la mort de Pierre du point de vue in-
terne, sans jamais la montrer du dehors, de manière réaliste, ni la
nommer, ce qui n’en est que plus saisissant ici : une lente noyade
onirique dans le souvenir d’un bonheur passé que transfigure
une lumière de plus en plus étrange et que commente une voix
off de plus en plus étouffée, celle de Pierre en train de mourir70.

 68.  Michel Boujut, op. cit., p. 94.
 69.  Ce qui était déjà le cas pour Abel Davos (Lino Ventura) dans Classe tous
risques et pour Morrison (Leo Gordon) dans L’Arme à gauche.
 70.  « Cette scène de la noyade – explique Claude Sautet –, c’était un effet oni-
rique de cauchemar classique. Quand on l’a tournée, quelle rigolade ! On était
au large de La Rochelle, sur un chalut, tout le monde avait bien bu, il y avait
un léger roulis, ce qui rendait le cadrage particulièrement difficile. L’eau était à
17 °C et Piccoli n’arrivait pas à s’enfoncer verticalement. Le courant l’emme-
nait. On a fait venir un homme-grenouille. Il a attaché le pied de Michel à un
poids, au fond de la mer. À un signal précis, l’homme-grenouille tirait la corde
lentement pour le faire s’engloutir. Mais, chaque fois, Michel prenait sa respi-
ration, ouvrant instinctivement la bouche et fermant les yeux, juste avant que
l’eau lui recouvre la tête. On l’engueulait ! On recommençait, le vent s’était levé,
le chalut tournait. Michel était gelé. Au moment crucial, je lui hurlais : “Tes
yeux ouverts, bon Dieu, tes yeux ouverts !” Il me fixait comme terrorisé. On a
recommencé le plan une trentaine de fois, jusqu’au coucher du soleil. Quand on
a enfin sorti Michel de l’eau, il était vraiment mort… d’épuisement ! » (Michel
Boujut, op. cit., p. 97.)

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