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dimension fictionnelle du film est plus importante que la représentation pure et
dure d’évènement réel. Partir Revenir, c'est un voyage dans la mémoire et dans le
temps. Nous pouvons percevoir plusieurs événements en même temps : le son est
parfois décalé avec l'image ; nous voyons par exemple une scène que nous croyons
comme temps présent, alors que nous entendons la voix off de Salomé Lerner
commentant sa vie. La notion de temps est en quelque sorte universalisée ; puisque
nous vivons l'image du film sans pour autant avoir conscience dans quel temps
nous sommes. Comme le fait remarquer Michel Chion 16: « l'utilisation de la
musique (…) sert à créer entre toutes ces ébauches de personnages, et ces
ébauches d'histoires. »

Ainsi en voyant le film, nous avons l'impression de suivre plusieurs
histoires et temporalités dans un même mouvement. La musique est en quelque
sorte le lien unificateur entre toutes les séquences du film quel que soit le temps.
Le spectateur vit le film par l'image et la composition musicale. Outre un
découpage complexe, il convient de noter que le film prend toute son ampleur à
travers le thème de la judéité. Ce que cherche à montrer le film, c'est le
traumatisme qu’ont pu vivre les juifs. Comme le prouve une des séquences du film,
via la discussion entre Jean-Louis Trintignant (Roland Rivière) et Michel Piccoli qui
lui parle de la guerre de manière insouciante. Les juifs ne se doutaient pas de ce
que Hitler leur réserverait...

Une autre thématique importante du film est à souligner, à savoir le thème
de la trahison, la délation et la culpabilité. Une fois Salomé Lerner revenu vivante
des camps de la mort, celle-ci cherche à savoir qui a dénoncé sa famille (le film
entretient d’ailleurs une allusion au corbeau d’Henri Georges Clouzot qui parle aussi
de suspicion). La toute dernière fin du film fait comprendre aux spectateurs, que
c'est Annie Girardot qui a dénoncé sa famille. La culpabilité et le remord s'exprime
à travers son regard, dans la séquence où celle-ci part avec Salomé et lui avoue
dans le train son geste odieux. Cette séquence commence par la voix off d'Annie
Girardot, avec le bruit du train sur l'image des fausses fiançailles entre Vincent et
Salomé pour donner une liberté aux Lerner. La voix off se poursuit sur l'image
d'une valse où la caméra est très mobile. Sur cette image qui symbolise le bonheur
et le temps qui passe, la voix off devient in lorsque nous voyons la discussion
d'Annie Girardot avec Salomé dans le train.

16 Voir la critique publiée dans les Cahiers du Cinéma numéro 373 56

Claude LELOUCH : une vision intimiste de l’Histoire.
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